Pour rendre un modeste hommage au regretté Robin Williams, j’ai revisionné pour la première fois depuis sa sortie le fameux « cercle des poètes disparus ».
La rébellion, la non-conformité, la défiance, le non-respect des règles, l’originalité sous toutes ses formes ont été le fond de commerce de cet acteur tout au long de sa carrière.Depuis « Good Morning Vietnam » à « Mrs Doubtfire » en passant par « Good Will Hunting », quasiment tous ses films s’articulent autour du concept de l’individualité en suggérant que la seule chose importante, c’est d’avoir sa conscience pour soi. Invariablement, les films se referment sur un bref épilogue où les personnages repartent vers de nouvelles aventures, bien que broyés au passage par le système. Un peu comme à la fin d’un conte de fée, « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ».
Ce qui m’a révolté cette fois en regardant l’histoire du professeur Keating, ça n’est pas le tragique destin de Neil, mais bien le fait que ce film perpétue la thèse de l’innocuité du non-conformisme. A grand renfort de Carpe Diem, on nous explique que ce qui importe, c’est d’être un libre penseur. Qu’importent les conséquences, on trouvera toujours un moyen d’en sortir la tête haute, pourvu qu’on vive selon ses principes.
Il se trouve que j’ai longtemps vécu « selon mes principes ».
Vivre selon ses principes
En seconde, croyant que la règle d’arriver à l’heure s’appliquait à tous, j’ai fait remarquer à ma prof de français qu’elle avait un retard cumulé de 9h50 en deux trimestres. J’ai été exclu trois jours par le proviseur qui a avoué, désolé, à mes parents qu’il avait connaissance du problème mais qu’il ne pouvait rien faire d’autre que me renvoyer.
Heure par heure
En math sup’, la règle de l’excellence voulait que la moitié supérieure des étudiants passeraient en math spé’. Etant deuxième sur plus de soixante élèves, je ne m’attendais pas à ce que le fait d’avoir pris des libertés avec l’emploi du temps me serait reproché, puisque seul le classement comptait. J’ai donc été exclu « élégamment » par courrier une fois l’année terminée, sans avoir fait les démarches pour avoir des équivalences, ni passer de concours (petites mines, pour ceux qui connaissent). Je suis allé refaire une première année à la fac où j’ai eu sur l’année 19,5 en math et 19,75 en physique, c’est vous dire si je méritais d’être exclu.
EDIT: Ayant littéralement oublié la date de mes partiels de février, le doyen m’avait dit que je les repasserais en septembre les épreuves que j’avais que j’avais oubliées. Cette fois, la souplesse de la règle et des principes jouèrent en ma faveur puisque le doyen me dispensa de repasser en septembre au vu de mes résultats.
Jour par jour
Lors de ma soutenance de stage en dernière année d’école d’ingénieur, je croyais que le but du jeu était de démontrer l’étendue de mes connaissances académiques. Je ne dois mon diplôme qu’au seul fait que mon maître de stage était prêt à m’embaucher, seule information qui intéressait l’école. L’examinateur a carrément passé le coup de fil devant moi séance tenante.
Année par année
Un jour, devant le maire, j’ai prêté serment de fidélité. Pour le meilleur et pour le pire. Et j’ai tenu bon(bon), avec le résultat que vous imaginez.
J’ai aussi appelé la police pour régler des litiges et me suis retrouvé face à des agents qui me suggéraient que réunir quelques potes pour aller casser la gueule aux fauteurs de trouble serait plus efficace. Et j’en passe, et des meilleures…
Tout ça pour « avoir ma conscience pour moi ».
Sa conscience pour soi ? Mais pourquoi faire ?
Naturellement, la seule conséquence systématique d’avoir agi selon mes principes à été d’avoir à payer les pots cassés. Mais revenons à Robin Williams.
Cette théorie étrange qui voudrait qu’en respectant la loi et en utilisant les rares espaces de libertés comme on l’entend, on arrive à vivre selon ses principes sans conséquence est plus insidieuse qu’il n’y parait. Qu’il s’agisse d’aller jouer du saxophone en récitant des poèmes dans une grotte, jouer des pièces de théâtre ou faire cours sur un stade de foot, on pourrait considérer qu’il s’agit du simple exercice des libertés de chacun dans le cadre des règles fixées la société, l’école, la famille.
On pourrait penser que seule une méchante institution antique des années 50 peut faire ce qui est montré dans ce film. Au final, dans ce film, ceux qui se plient au système subsistent, et ceux qui refusent de courber l’échine sont exclus (au mieux) ou meurent. Pour l’innocuité, vous repasserez. Mais soyez rassurés par cette scène finale des élèves qui bravent l’interdit en montant sur les tables pour déclamer « Oh Captain, my Captain ! », les libre penseurs ne sont pas mort et ont encore de beaux jours devant eux.
C’est du sarcasme, naturellement.
La seule vraie règle qui fonctionne dans 100% des cas, en relations humaines
Nous devons cette règle à l’armée. Elle a au moins ce mérite de dire très sobrement et au premier degré :
- Le chef a toujours raison
- Même quand le chef a tord, le chef a raison
Je vous avoue être perplexe, car, père de deux enfants, je dois à mon tour choisir de perpétuer la bêtise niaise de préférer ses principes à l’intrigue. Sur le papier, j’ai tout fait « comme dans le manuel » et je suis aux premières loges pour juger du résultat lamentable des stratégies du type « passe ton bac d’abord ».
Un tiers des 500 plus grosses fortunes mondiales n’ont pas l’équivalent du bac. L’ironie du sort et les mathématiques me permettent de calculer que, faisant partie des 80% d’une classe d’âge qui a le bac, j’ai ainsi statistiquement moins de chance de faire partie un jour du Fortune 500 que n’importe quel mec qui était avec moi en 5ième et qui a arrêté ses études avant. J’en rirais si ça n’était pas si triste.
Pour avoir fait maintes fois les frais de « la fin justifie les moyens » tout en ayant raison sur le fond, je ne sais pas quoi dire à mes enfants. Et comme si l’actualité cherchait à alimenter mon trouble, il semble que même en sport, devant des millions de téléspectateurs, il ne suffise plus d’arriver indiscutable premier à la loyale. Et ça, comment vous l’enseigneriez, si c’était vos enfants ?