Dans ma vie, j’ai alternativement été salarié, puis indépendant, puis associé, puis salarié, puis indépendant, etc. La déduction que j’en ai faite est que je ne serai plus jamais salarié. Pas si je peux l’éviter. Comme tout le monde, vous allez me dire. Mais ma conception du salariat est assez étendue. Ou plus exactement, j’ai une définition très littérale du salaire : « Le salaire est un revenu qui paie la force de travail. » Or, dans le langage commun, le salaire et la rémunération sont deux notions quasiment identiques.
Lorsque l’on aborde le « scandale « des salaires des acteurs ou celui des footballeurs, dont les montants supposés indécents sont montés en épingle par les médias, on se trompe de débat. Quelque soit son taux horaire, Gérard Depardieu ne peut travailler que 24 heures par jour, à supposer qu’il ne dorme pas. Curieusement, toutes les personnes que l’on donne en pâture au bon peuple en dénonçant leurs salaires ne font pas partie du classement des plus grandes fortunes mondiales ou française. Le train de vie d’un footballeur ou d’un acteur connu est naturellement bien plus haut que le mien, mais la fortune de personnes comme Will Smith ou Tom Cruise vient bien plus de leur activité de producteur que de leurs cachets d’acteur. Même les pédégés avec leurs goldens parachutes ne sont finalement que des salariés. Et un salarié qui arrête de travailler arrête d’être payé.
Au début de ma carrière, j’ai monté un moteur de prévision. Ce moteur ayant son petit succès sur un marché précis, un opérateur télécom de ce marché m’a contacté pour que je fournisse un contenu que je générais de toute façon en échange d’une rémunération. J’ai signé un contrat sur un coin de table, pour le prix — dérisoire — qui m’était proposé sans même discuter, je m’en foutais complètement. C’était il y a 10 ans et j’ai calculé que c’était le meilleur contrat que j’aie jamais signé. En dix ans, j’ai du passer deux heures en tout à émettre des factures. Et ça m’a rapporté l’équivalent d’une très belle voiture. Sans rien faire d’autre que d’avoir eu l’idée au départ et de l’avoir mise en oeuvre.
J’ai réalisé ça un jour où je galèrais à faire comprendre à un client que son projet était terminé depuis longtemps et que je ne le continuais que par bienveillance et sans le facturer. En effet, j’ai quelques qualités humaines qui se révèlent un vrai handicap pour le business. L’empathie, c’est bien, mais bouffer sa marge pour que le client finisse par trouver ça normal d’avoir obtenu plus que prévu et paye à 90 jours fin de mois, on ne peut pas dire que ça soit un signe de gestion exemplaire.
Il y a quelques années, donc, j’ai décidé que :
- Je n’aurais plus de relations-client basées sur l’affect.
- Mes revenus ne seraient plus indexés sur mon temps de travail.
Depuis, à part pour payer les factures, tous les projets que je lance obéissent à ces deux règles :
- Montant des produits définis à l’avance, la relation client passe par la grille tarifaire d’un produit clair et quantifiable. Impossible, par exemple, d’avoir des plans du genre « j’avais dit rouge, le logo ? Pardon, je voulais dire vert. Recommencez, pour le même prix, naturellement »
- Seul le succès fait varier la rémunération, le temps de travail n’est pas corrélé à cette rémunération.
Bien entendu, cela ne veut pas dire « ne rien faire ». N’importe quelle personne qui a lancé un projet sait ce qu’il en coûte. J’ai donc, il y a deux ans, écrit un livre pour se remettre d’une rupture « Je me suis fait larguer » (Eyrolles 2014) qui a eu son petit succès (#1 psychologie de couple sur Amazon) et dont je lance la traduction dans les mois à venir. Je planche d’autre part sur l’écriture d’un spectacle « J’ai toujours rêvé d’être danseuse étoile ». Les points communs de ces projets étant donc que, si je me plante, ça ne rapporte rien, mais que si ça marche, ça ne me demandera pas plus de travail, que ça rapporte le simple ou le double.
J’adore travailler sur des projets qui me motivent. Lorsque je repense aux années que j’ai passées comme salarié, dans des sociétés où j’ai été le pire des salariés, je me rappelle toujours une citation dont j’ai oublié l’auteur et qui disait — surement plus élégamment :
On s’est emmerdé pendant des siècles à mettre des fers aux pieds des esclaves alors qu’il suffit de leur donner deux semaines de vacances en aout et ils reviennent de leur plein gré.
La question du « pourquoi maintenant ? » est cependant éminemment pertinente. J’y reviendrai.
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