[nota : j’avais écrit le texte qui suit sur Facebook le 9/12/2015 au lendemain des régionales. Je l’exhume aujourd’hui car, après avoir finalement voté au premier tour des présidentielles 2017, je trouve qu’il illustre bien ma position]
Depuis dimanche fleurissent sur les réseaux sociaux toutes les déclinaisons possibles de « quand on ne vote pas on ferme sa gueule »
Pardonnez-moi l’arrogance de ce titre, il m’arrive naturellement de me garer en double file et mon « exemplarité » est somme toute relative.
Laissez-moi cependant vous décrire mon « passé démocratique »
Au delà de l’anecdote, il n’est pas absurde d’imaginer que mon histoire puisse donner un éclairage sur « pourquoi les gens refusent d’aller voter alors que le bon sens commande d’aller faire barrage au Front National »
Mon grand-père est un pur produit de l’ascenseur républicain. Après avoir commencé comme commis à 14 ans dans un cabinet d’expert comptable, il a fini expert comptable lui-même, à la tête de son cabinet à force de cours du soir. Cela ne me donne aucun mérite personnellement, naturellement, mais ça donne une idée du climat dans lequel j’ai été élevé, très « troisième république » où l’instit’, le toubib et le maire étaient littéralement les notables de la communauté.
Avant d’arrêter de voter, j’ai fait un certain nombre de choses dans les institutions de la république. A 17 ans, j’ai été membre du collège électif du conseil municipal jeune de ma commune après l’avoir mis en place — le CMJ est composé de membres de moins de 16 ans. A 18 ans, j’ai été administrateur de la MJC de ma commune après en avoir longtemps été un membre actif.
En 95, j’ai voté pour la première fois à l’élection présidentielle. Jusqu’en 2014, je n’ai pas loupé un scrutin, mettant un point d’honneur à être inscrit systématiquement sur les listes électorales dès mon arrivée quelque part.
En 2002, j’étais depuis quelques mois à Tahiti, et le décalage horaire a fait que j’ai pu me réveiller le jour du scrutin du 22 avril en connaissant les résultats de métropole. J’ai fait le tour de mes connaissances pour les inviter à voter in extremis, l’immense majorité n’était pas inscrite ni n’avait donné procuration.
A cette époque, j’étais de ceux qui conspuaient les non-votants.
Lors de l’alternance politique en Polynésie française — le Taui, le changement — j’ai fait acte de candidature spontanée afin d’apporter ma pierre à l’édifice. Quelques temps plus tard, devant les maigres résultats de l’alternance, je me suis investi dans un parti politique local.
Au delà de la litanie de mes insignifiantes aventures démocratiques, on retiendra que j’étais un citoyen éclairé, informé, concerné, et investi.
Je ne sais pas exactement à quel moment, mais de scandale en scandale, la classe politique a perdu la bienveillance que j’avais pour elle. Plus encore, la démission et la complaisance du monde journalistique, toujours prêt à servir la soupe a achevé de me désespérer. L’attribution des bons et des mauvais points par PPDA et consort, toujours prompts à nous expliquer que le « Durafour crématoire » de Le Pen est inadmissible là où l’on jette un voile pudique sur « le bruit et l’odeur » de Chirac, le « c’est quand il y en a beaucoup que ça pose des problèmes » de Hortefeux ou encore le « plus de white, plus de blancs, plus de blancos » de Valls, ça ne fonctionne plus sur moi. Ils sont tous pareils.
Qu’il soit possible en 2015 d’assister encore à des politiques pris les doigts dans le pot de confiture, tel Estrosi la semaine dernière qui loge sa fille aux frais de la République, en dit long sur le sentiment d’impunité de ces gens. Ce même Estrosi dont on nous explique maintenant qu’il faut voter pour lui pour « faire rempart à la barbarie » après nous avoir expliqué à longueur de campagne que lui ou le FN c’était pareil.
Si encore l’élection changeait quelque chose, mais l’exemple grec nous montre le contraire. L’exemple du vote pour l’Europe en 2005 nous montre le contraire. L’exemple des renflouages des banques nous montre le contraire. A coup de 49–3 la volonté du peuple est bafouée.
J’habite Perpignan, où le maire est encarté LR. Mais c’est exactement le même que Ménard à Bézier, qui a été élu avec les voix du FN. Les histoires de commémorations sur les stèles OAS, installées sur un cimetière public, encadré par la police municipale, on a les mêmes à Perpignan sous gouvernance LR/UMP
Les histoires de baptême de rue au nom d’un ex-député FN, on a les mêmes à Perpignan, sous gouvernance LR/UMP.
La protestation sélective des élites est tellement absurde qu’elle en devient grotesque.
Je ne vois vraiment pas en quoi voter autre chose que FN ferait barrage aux idées du FN, dans la mesure où la seule tactique des partis « démocratiques » est de siphonner le programme du FN pour lui faire opposition. Le comble.
Je n’ai pas perdu mon esprit citoyen pour autant, mais il y a plus de chance pour que vous me croisiez une fourche à la main que dans un isoloir. En attendant la sixième république.