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Je suis un homme, et je me travestis

Je m’appelle Basile, j’ai 36 ans, je suis hétérosexuel, et je me travestis.

Cet article est une sorte de réponse à celui dans lequel une madmoiZelle racontait ses réactions au travestissement de son mec. Ma réponse vient donc « de l’intérieur », si on veut — et sans jeu de mots graveleux.

Je vais d’abord être très factuel, puis poursuivre en analysant un peu.

Depuis quand est-ce que je me travestis ?

J’ai toujours plus ou moins eu envie de me travestir. Le plus vieux souvenir que j’ai d’avoir eu cette envie, c’était vers mes 19 ans, mais ça remonte sûrement à plus loin. En gros, à la puberté et à la conscience de la différence des sexes et de leurs utilités respectives.

Mais le passage à l’acte n’est arrivé qu’à 33 ans. Grâce au mec d’un pote, qui est danseuse burlesque, à qui j’expliquais que j’avais toujours voulu faire ça et qui m’a dit avec un air de défi « qu’est-ce que tu attends, viens on va t’habiller ». Et j’y ai été.

Pourquoi est-ce que je me travestis ?

C’est difficile pour moi de dire pourquoi ça m’intriguait à l’époque. Je ne m’en souviens pas bien. Ce qui est sûr, c’est que ce que j’y ai trouvé est différent de ce pourquoi ça m’intriguait.

Je crois que j’imaginais à l’époque pouvoir me transformer en femme, au moins visuellement. Et ce qui me motivait, c’était de savoir comment ça se passait dans « la vie d’une femme ».

Comment est-ce que je me travestis, et à quelles occasions ?

En trois ans, j’ai dû me travestir huit fois. Soit dans des environnements gay-friendly ou simplement gay, soit dans en compagnie de gens que je connais, hétéros en majorité. Mais pas dans un endroit hétéro inconnu, à part pour aller d’un point à un autre.

Lorsque je me travestis, j’essaye d’obtenir le résultat le plus réaliste possible.

« Comment c’est, la vie d’une fille ? »

Tout d’abord, et pour lire ce qui suit, il vous faut savoir que le moment de ma vie le plus proche d’une expérience homosexuelle a été un crush que j’ai eu pour un garçon, vers 15 ans, avec qui je faisais du skate, qui était beau à tomber par terre avec ses cheveux longs et ses taches de rousseurs.

En gros, j’avais une attirance esthétique pour lui, sans désir. Il était vraiment très beau, mais n’a pas nourri de rêve humide pour autant. Il aurait fait une fille splendide, dommage !

Cela n’a pas déclenché de « période de doute » chez moi sur mon orientation sexuelle. J’ai toujours eu l’impression d’être hétéro sans vraiment me poser la question. Ceci n’est pas une précaution oratoire, mais juste une description de contexte.

Ce qui m’intéressait dans l’idée de me travestir, c’était de savoir ce qui se jouait dans le camp d’en face. Par empathie, certainement, un peu comme on écoute le calvaire quotidien d’un ami maghrébin qui vous raconte l’enfer du contrôle au faciès, sans vraiment pouvoir le ressentir parce qu’on est blanc et BCBG.

Là où je me fourrais le doigt dans l’oeil, c’est qu’avec mon mètre quatre-vingt-douze, tout fin que j’étais, je ferais une fille bien trop grande pour être crédible, à plus forte raison avec des talons ! J’avais naturellement l’intention d’être la plus « réussie » possible. Cette volonté de crédibilité fut à l’origine de ma première découverte.

L’enfer de la féminité

Être une belle fille, c’est l’enfer. Se raser les jambes. Les aisselles. Porter un string inconfortable. Des collants qui tiennent chaud et qui scient le ventre. Des talons qui font mal. Une robe qui remonte, très légère et sans poche. Pas de poche donc un sac. Robe légère donc un manteau. Manteau et sac dont on sait pas quoi foutre et qu’il faut toujours mettre au vestiaire ou confier aux copines. Maquillage qui gratte la figure mais qu’on ne peut pas toucher sans tout bousiller. Déplacement dangereux en talons dès qu’on croise une plaque d’égout, une grille, du gazon, des dalles avec un interstice un peu trop grand…

Au bas mot 45 minutes de préparation pour une fille qui a l’habitude, 1h30 dans mon cas. Une heure et demie pour apparaître fabuleuse au sortir de la salle de bain et tomber nez à nez avec un connard qui a enfilé un jean et un t-shirt blanc et qui fait la gueule parce qu’on est en retard. Celui qui aurait dit qu’on était fagotée comme un sac si on avait fait la même en 10 minutes. Je sais de quoi je parle, j’ai été ce connard.

Cette découverte-là, depuis que je me travestis, me permet de comprendre et d’apprécier les efforts faits par les femmes dans le vestiaire et la salle de bain.

Ainsi, avant même d’avoir présenté mon double féminin au monde, j’avais déjà compris quelque chose. Si vous êtes un mec, que vous lisez ces lignes et que vous vous dites « oui, bon, ben d’accord, pas besoin de se travestir pour comprendre ça », sachez que vivre quelque chose et se le faire raconter, ça n’est pas pareil.

Bienvenue, Pénélope !

Mon double féminin s’appelle Pénélope, a son propre profil Facebook et vous remarquerez que j’en parle à la troisième personne. J’ai vu le film Tootsie un an après avoir commencé à me travestir. Tout ce qui y est décrit est exactement ce que je ressentais avant d’avoir vu le film. Dustin Hoffman a encore parlé de ce rôle récemment, avec les larmes aux yeux.

Le seul reproche que je ferais à ce film est d’avoir fait de Tootsie un personnage genré mais pas sexué puisqu’il s’agit d’une dame ménopausée. Le même film avec la dimension de séduction homme-femme aurait été plus intéressant ! Permettez-moi donc de combler ce vide. Là encore, sans jeu de mot graveleux.

Comme je l’ai expliqué, malheureusement, Pénélope n’est pas une femme et n’est pas perçue comme telle. Deux mètres cinq sur talons, la confusion serait difficile. Néanmoins, elle est très convaincante et n’a absolument rien de comparable avec les VRP qui enterrent leur vie de célibataire affublés d’une jupette en vinyle, résilles bas de gamme sur jambes poilues, torse velu, et perruque hirsute et bon marché.

Pénélope et les femmes

Ainsi, si Pénélope n’est pas une femme, elle n’est pas non plus un homme. La seconde découverte déroutante est donc la réaction des femmes en présence de Pénélope.

N’étant plus un homme, je suis observé sous toutes les coutures, sans aucune gêne. Tripoté, aussi. On touche mes vraies fesses, mes faux seins, on me fait des compliments. Tellement régulièrement qu’à mon tour, je touche les fesses et les seins de celles qui me manipulent, en essuyant tout au plus des protestations amusées.

Je ne suis plus une menace. En garçon, toutes ces inconnues me colleraient leur main dans la figure, mais Pénélope peut tout se permettre. Elle n’est pas un homme, donc pas un risque.

Je commence donc à comprendre la dimension de prédateur sexuel qu’un homme représente pour certaines femmes. L’incompréhension des hétéros qui ignorent pourquoi « les homos peuvent aller parler à n’importe quelle nana et s’en faire une copine en trois minutes » alors qu’eux sont refoulés à la première phrase d’approche m’apparaît évidente. Pénélope n’est pas refoulée. Pénélope n’est pas le prédateur que je semble être.

« Mais pourquoi tu fais ça si t’es hétéro ? »

Pour autant, les femmes que cela intrigue posent des questions sur mon orientation sexuelle, car je ne cherche pas à transformer ma voix. Lorsque je réponds que je suis hétéro, elles demandent généralement « mais alors pourquoi tu fais ça ? » et se contentent du « pour voir ce que ça fait » que je leur réponds. Rares sont les femmes qui creusent plus que ça. En général, ma réponse est suivie d’un sourire et d’une variante de « ah, ok, c’est cool ! ».

En revanche, pour les mecs, c’est une autre histoire. Une infime minorité de mecs acceptent l’idée que je sois hétéro sans plus de questions.

Pénélope et les hommes

Certains jouent la carte de « non mais pour faire ça, tu dois quand même pas être clair ». D’autres cachent leur gêne en poussant des hauts cris façon grande folle, certainement en croyant m’encourager à leur manière et en se rendant plus ridicules que moi, l’homme vêtu en femme. Certains me tripotent avec plus ou moins de second degré, en m’imposant, sûrement malgré eux, leur nature de prédateur et ma nouvelle nature supposée de proie sexuelle. D’autres encore refusent en bloc la démarche, comme si ça mettait en péril une sorte d’équilibre cosmique où les cochons seraient bien gardés.

Lorsque l’on creuse, la plupart de ces mecs prennent des précautions oratoires du genre « je ne suis pas homo, mais » qui me semblent illustrer leur insécurité sexuelle. L’hétérosexualité étant l’orientation par défaut, il y a finalement assez peu d’hétéros qui ont vraiment réfléchi à leur orientation sexuelle.

Ainsi, à l’occasion de la naissance de Pénélope, je me suis retrouvé dans des situations où j’aurais pu avoir des expériences homosexuelles assez simplement si le désir s’était présenté. J’ai eu une attirance pour une ravissante créature dont le physique me plaisait beaucoup, mais c’est bien son apparence féminine qui m’attirait et pas son sexe biologique. À priori, je suis très hétéro, pour l’instant.

Pénélope, ma petite part de folie

Enfin, Pénélope m’apporte autre chose. Elle m’apporte la possibilité de porter un masque sans mentir. Pénélope est outrancière, provocante et fait des choses que je ne me permettrais pas forcément « en garçon ».

Personne n’est dupe sur la réalité de Pénélope, et pour autant, elle a tout de même sa petite existence. Si je me déguisais en milliardaire argentin pour sortir, que je prenais un accent et des lunettes extravagantes, tout le monde me croirait fou et mythomane !

Mais même les mecs qui ne comprennent pas la démarche acceptent l’idée que Pénélope soit une « expérience ».

Pénélope est un vaste champ d’expérimentation pour moi, une sorte de Mr Hyde que je n’ai pas besoin de vraiment dissimuler. La question de la virilité revient souvent pour tenter d’invalider la démarche. Les lecteurs ne me connaissant pas auront du mal à apprécier ma virilité comme garçon, aussi je leur suggère d’étudier cette liste de travestis notoires ainsi que leur virilité : Bowie, Iggy Pop, James Franco, Mick Jagger, Daniel Craig, etc. Pas vraiment des folles tordues, quoi.

D’autre part, les femmes que je séduis n’ignorent rien de mes expériences et cela ne les rebute pas. Depuis qu’elle existe, j’ai toujours évoqué « le sujet Pénélope » avant de partager l’intimité d’une femme, sans que ça pose de problème. Ma pratique de l’hétérosexualité n’a pas changé depuis ces expériences.

Je ne prétends pas avoir tout compris de la psyché et de la vie des femmes au motif que je me travestis, mais j’en sais assurément plus que les lecteurs qui, arrivés à ce stade, en sont encore à se dire « non mais quel gros pédé, celui-là… » !

Même à ces lecteurs, je tiens à dire que je suis certainement un meilleur compagnon depuis ces expériences. De la à conseiller à chaque mâle hétéro de tenter l’aventure, il n’y a qu’un pas… que je vous laisse le soin de franchir !

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